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La voie du milieu
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27 février 2011

Pourquoi rien ne va changer après la nomination de Si Beji Caid Essebsi et quels scénarios pour la suite ?

Je pense que la nomination de Si Beji Caid Essebsi ne va rien changer du tout et constitue à mon sens une preuve supplémentaire sur le fait que les instances dirigeantes (celles qui se sont concertées pour nommer le nouveau premier ministre) n'ont toujours pas compris ce que voulait la rue (pas nécessairement ce que veut la majorité du peuple !).

Je m'explique : s'il y a un mot qui revient sur toutes les bouches dans les manifs, sur les plateaux télé... c'est REVOLUTIONNAIRE. Les opposants au gouvernement trouvent que le gouvernement n'est pas révolutionnaire, qu'il poursuit la politique du passé, qu'il reconduit les même hommes du passé... Ce n'est faux.

Mais que veulent au juste les manifestants ? Sur les affiches on lit démission de Ghannouchi et du gouvernement, dissolution des 2 assemblées, annulation de la constitution actuelle et élection d'une assemblée constituante. Ah et j'oubliais le Comité de Surveillance de la Révolution (un peu pompeux comme titre, un peu fumeux comme concept). Mais derrière ces revendications, que l'on peut d'ailleurs approuver en un certain sens, je ne crois pas que les manifestants ne veulent QUE cela.

C'est là que le mot RÉVOLUTIONNAIRE prend tout son sens : en fait ce mot signifie une rupture TOTALE avec l'ordre établi. Une rupture constitutionnelle, une rupture avec TOUTES les politiques suivies auparavant (politiques, économiques et sociales) sans distinction de ce qui était bon ou mauvais, une rupture avec les lois généralement admise...

Rechercher une solution constitutionnelle n'est pas un comportement révolutionnaire ! C'est pour cela que tout gouvernement qui s'appuiera sur un cadre constitutionnel sera qualifié de non révolutionnaire et qu'on lui demandera de DÉGAGER.

Poursuivre une politique économique libérale, encourageant l'initiative privée et intégrant les investisseurs étrangers, le tourisme.. n'est pas révolutionnaire. C'est pour cela que les partis d'extrême gauche appelant au communisme, à la collectivisation des biens, au nivellement des salaires et à la nationalisation des entreprises connaissent un tel succès. C'est pour cela aussi que les partis religieux prônant un retour aux traditions, une remise en cause du tourisme et de la mixité connaissent également un succès : parce qu'ils sont révolutionnaires en ce sens qu'ils sont en totale rupture avec le passé.

RÉVOLUTIONNAIRE, c'est aussi passer outre toutes les règles généralement admises en matière de traitement des affaires judiciaires : c'est donner le nom de prévenus et les passer à la télé avant même que l'affaire ne soit instruite, c'est envoyer en prison tout ce qui, de près ou de loin est lié à une affaire pour faire DÉGAGER toute la pourriture. C'est lancer en toute impunité le plus d'accusations à tort et à travers sur les plateaux de télé sans aucune preuve ni respect pour les personnes. C'est accuser d'être ANTIRÉVOLUTIONNAIRE tous ceux qui ne sont pas du même avis que vous. Or le gouvernement a été bien loin de ce comportement. Il a même été mou, accumulant les maladresses et ayant toujours un train de retard sur l'opinion. Même les rares invités sur les plateaux de télé qui représentaient le gouvernement ou les commissions indépendantes (à qui on demande également de dégager) n'étaient pas révolutionnaires dans leur comportement : ils parlaient posément, il essayaient de convaincre et n'accusaient pas les autres invités d'être antirévolutinnaires. Comment voulez vous ne pas être taxé de sbire de l'ancien régime si vous vous comportez comme cela !

Être RÉVOLUTIONNAIRE pour certains, c'est ne plus se soumettre à l'ordre établi, c'est quand les forces de l'ordre sont accusées d'être à la solde de l'ancien régime quand elles arrêtent des pilleurs, c'est s'approprier les biens de l'état et les biens privés, c'est ne plus rien respecter sur les routes, ni feux, ni stops, et tant pis si on tue quelqu'un (après tout il ne va pas se plaindre d'être devenu un martyr de la révolution).

Être RÉVOLUTIONNAIRE, pour d'autres, c'est empêcher ses collègues (qui du coup deviennent suspects car non révolutionnaires) d'aller travailler librement quand on a décidé de faire gréve parce que ce n'est pas tous les jours que l'on fait la révolution et que nos revendications doivent être à la hauteur de l'événement.

RÉVOLUTIONNAIRES sont les élèves de collège et de lycée que des gens ont instrumentalisés et qui ont vandalisé des dizaines d'autres collèges et lycées et obligé leur camarades à cesser les cours et même, parfois sous la menace, à les suivre à la Kasbah.

Enfin être RÉVOLUTIONNAIRE c'est encore pour certains avoir le cœur empli de haine envers ses concitoyens qui ont réussi et les accuser, sur des plateaux télé d'être des francs maçons, des agents à la soldes de la France ou des États Unis, ou encore des services Israéliens (on n'a pas encore eu droit à des agents envoyés par les extra terrestres). C'est contester ce qui rendait la Tunisie admirable, la réussite par les études qui a fait que l'écrasante majorité des hauts diplômés qui ont réussi sont d'origine modeste, viennent de tous les coins de la République et ne doivent leur réussite ni à une fortune familiale, ni à un nom de famille prestigieux, mais à leurs travail et à leurs études.

Alors vous comprendrez que quel que soit le gouvernement, dès lors qu'il sera non révolutionnaire, il ne pourra que DÉGAGER.

Cela étant dit, je crois que Si Med Ghannouchi (que je respecte beaucoup et que je remercie de tout cœur pour le travail qu'il a accompli) se devait de quitter son poste car il cristallisait les rancœurs contre l'ancien régime. Je pense aussi que plusieurs membres actuels du gouvernement sont totalement dépassés par les événements et n'ont pas le profil politique ni l'expérience humaine (je leur reconnait une grande compétence technique) qu'il faut pour faire face à la situation. Je pense qu'ils devraient aussi démissionner sans délai.

Il est également vrai que le gouvernement a accumulé les maladresses, d'abord par manque de courage politique pour rompre totalement avec tous les symboles du passé (le gouvernement a privilégié, à tort ou à raison l'expérience et la compétence avant la symbolique). Ensuite par une profonde incompréhension de la logique avec laquelle raisonne l'homme de la rue (sans aucune connotation péjorative). Malheureusement, dans ce genre de situation, la compétence ne suffit visiblement pas: il faut une bonne dose de communication, d'écoute, de roublardise, de démagogie et de surenchère. En un mot un peu de compétences et beaucoup de politique.

Second problème de ce gouvernement : une communication CATASTROPHIQUE, pour ne pas dire une non communication. J'avais déjà suggéré en messagerie privée à plusieurs membres du gouvernement de faire des points presse hebdomadaires, voire quotidiens, associant le Porte Parole du Gouvernement, le Ministère de l'Intérieur et l'Armée. Ce genre de pratique, qui est en vigueur dans la plupart des pays démocratique, apporte de la visibilité et permet d'expliquer l'action gouvernementale et de couper court aux spéculations. Malheureusement, rien n'a été fait et le gouvernement a toujours réagi en retard, sans coordination médiatique et s'est laissé dépasser par la rumeur.

Troisième problème : la composition de ce gouvernement. Il regroupe des talents qui trouvent leur public auprès d'une élite éclairée, mais ils ne font pas partie des gens du Peuple. Ils ne raisonnent pas et ne parlent pas sur le même registre. D'où cet acharnement sur eux.

Et maintenant ?

Je pense aussi que la nomination de Si Beji Caid Essebsi, grand homme d'état, est une maladresse de plus car elle marque encore plus un ancrage dans le passé. Vu du côté de la Rue, comment voulez vous qu'une population composée à plus de 60% de jeunes comprenne et soit comprise par un président et un chef de gouvernement tous deux âgés de plus de 80 ans ? Et anciens du système politique d'avant le 14 Janvier qui plus est. Je rappelle simplement que pour ces jeunes, tout est mis dans le même pot.

Dès lors que nous reste-t-il comme choix ? Eh bien il n'y en a pas 36, mais 3 :

  • Remettre encore une fois le plat avec Si Béji, nommer de nouveaux ministres et voir comment ça va se passer. malheureusement je ne suis pas très optimiste pour les raisons que j'ai développé plus haut
  • Proposer le poste de premier ministre aux ténors de l'opposition en leur laissant carte blanche pour nommer leurs ministres. Après tout c'est ce qu'ils se proposent de faire avec le Comité de Surveillance de la Révolution. S'ils acceptent, le pays verra de quoi ils sont capables : s'ils réussissent, tant mieux pour le pays, si le pays sombre, eh bien cela aura eu le mérite de montrer à la population, avant les élections, le danger de confier les rênes à ces partis.
  • Demander à l'armée de prendre ses responsabilités pour stopper ce chaos et remettre le pays sur les rails de la discipline, du respect de l'État et du respect des règles du jeu démocratiques. Dans ce cas, on pourrait imaginer, dans les grandes lignes, le scénario suivant:
  • prise de pouvoir par un comité composé de militaire (les chefs d'état major de l'armée de terre, de l'air et de la marine)
  • instauration de la loi martiale (ce qui remettra de l'ordre),
  • abrogation pure et simple de la constitution actuelle,
  • dissolution de l'Assemblé Nationale et du Sénat
  • constitution d'une commission chargée de définir les modalités et d'organiser l'élection d'une Assemblée Constituante. Cette commission aurait un délai de 1 à 2 mois maximum pour rendre sa copie, après s’être concertée avec les différentes forces politiques et civiles du pays. Il s’agit juste de définir les modalités de l’élection et non de revoir la constitution.
  • Nomination d'un conseil ministériel restreint dont la seule mission serait de régler les affaires courantes : Ministre de la Défense, de l'Intérieur, des Affaires Étrangères, des Finances de l'Industrie (et du Commerce), de l'Agriculture (et du développement régional), de la Santé, de l’Education, de l’Enseignement Supérieur et de l’Emploi. Durant cette période, les ministères ne pourront engager aucune politique à long terme, ni négociation sociale pouvant être considérée comme un acquis définitif que devra supporter le gouvernement qui sera élu par la suite.
  • Placement des commissions d’enquête créées durant la période précédente sous la supervision des instances judiciaires du pays, et sous la supervision d’un comité regroupant des représentants des juges, des avocats et de la Ligue Tunisienne des Droits de l’Homme par exemple.
  • Après son élection, la constituante aurait 2 mois pour apporter les modifications constitutionnelles
  • Pendant ce temps, la commission qui avait préparé l’élection de la constituante préparera les conditions matérielles pour l’élection d’une assemblée nationale et d’un Président de la République le même jour. Un référendum pourrait être organisé plus tard pour décider s'il faut ou non maintenir des élections concomittantes.

Bien sûr de nombreux points devraient être examinés. Je vous avoue que je préfère ce scénario aux précédents et surtout au fameux Conseil de Surveillance de la Révolution qui me semble avant tout un organe d'exclusion et de dictature.

Je vous invite à contribuer au débat de manière constructive et à plus vous mobiliser dans la rue que derrière votre Facebook (gardez quand même un œil pour dénoncer les manipulations) si vous voulez faire entendre votre voix. et puis n'oubliez pas de crier, de couper la parole, d'accuser, de diffamer, et d'imaginer des scénarios abracadabrants. Ainsi on vous écoutera peut-être.

Plus sérieusement, je terminerai par quelques mots aux contestataires de tout bord, ceux qui sont pour et ceux qui sont contre : ceux qui risquent de voler la révolution, ce sont justement les gens qui ne respectent pas les avis opposés, qui trainent dans la boue tous ceux qui pensent autrement, ceux qui prétendent avoir tout compris et détenir l'unique vérité. C'est comme cela que les dictatures commencent.

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