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La voie du milieu
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30 janvier 2011

Mon point de vue sur les incidents de la Kasbah, mon analyse des causes et quelques modestes recommandations.

Après avoir pris connaissance des dizaines de vidéos, de témoignages facebook, entendu plusieurs témoins sur les plateaux de télé…, voici mes conclusions sur ce qui s’est passé à la Vendredi à la Kasbah (conclusions qui n’engagent que moi bien évidemment)

  • Sceptique au départ, je suis maintenant persuadé qu’il y a bien eu une attaque planifiée, coordonnée et parfaitement exécutée des forces de Police sur les personnes qui faisaient un sit-in à la Kasbah.
  • Les responsables qui ont conçu et mené cette opération ont berné le gouvernement et à sa tête le Premier Ministre et le tout nouveau Ministre de l’Intérieur, mais également l’Armée. Sous un prétexte tout à fait anodin (lever les obstacles des rues avoisinantes qui auraient gêné les commerçants et les riverains), ils ont fait en sorte que l’armée bouge de ses positions, que les forces de Police se trouvent sur place en nombre, puis ont créé l’incident qui devait permettre à la Police d’intervenir.
  • Des groupes de casseurs ont été mis à contribution (volontairement ou à leur insu, je n’en sais rien) pour donner à la police un mobile « suffisant » pour lancer l’assaut.
  • Cet acte est le fait d’un groupe au sein des forces de l’ordre, mais je ne pense pas pour autant que tous soient pourris. Nous observons tous les jours des membres des forces de l’ordre qui se comportent maintenant de manière citoyenne et tout à fait responsable.

Comment cela a-t-il été rendu possible, au moment même où le gouvernement est sur la corde raide et se sait observé, où le Premier Ministre sait que tout le monde n’attend qu’une erreur de sa part et que le nouveau Ministre de l’Intérieur aurait sans aucun doute préféré marquer d’une toute autre manière sa prise de fonction au sein de ce ministère qui est sur la sellette ?

J’incriminerais tout d’abord les 23 ans de dictature policière : depuis 23 ans, les forces de l’ordre ont été formées, entrainées et endoctrinées sur des principes exclusivement répressifs et sur le fait que la Police et ses responsables sont au dessus des lois et sont intouchables. On peut légitimement se poser la question quand à ce que valent la personne et la dignité de la personne humains aux yeux de certains de ses membres. Il faut croire que ce conditionnement ait été si bon que c’en est devenu une seconde nature pour ces gens. Malheureusement il faut se rendre à l'évidence qu'on ne peut pas changer le résultat de 23 ans d’endoctrinement en 15 jours.

Cette opération permet à certains responsable du Ministère de l’Intérieur de discréditer le nouveau Ministre, qui, rappelons le n’est pas issu de leurs rangs. On observe ce réflexe dans toutes les organisations (dans les entreprises, les administrations…) : dès lors qu’un nouveau responsable est nommé, et qu’il affiche son intention de faire changer les choses, tout le monde va lui mettre les bâtons dans les roues et tout faire pour qu’il échoue. Il est d’ailleurs significatif que nous ayons une expression consacrée à cela dans notre langage courant : ika3brouhalou.

Après l’annonce du nouveau gouvernement, tout le monde sentait que l’on s’acheminait vers une normalisation des choses, ce qui aurait permis au gouvernement de se mettre enfin au travail et de s’attaquer aux réformes de fond. Il est probable qu’il existe encore des membres du Ministère de l’Intérieur mais également d’autres corps de l’Etat (Douanes, Impôts…) ou de la société civile que cette évolution n’arrange pas. Rameuter à nouveau la population et radicaliser encore plus les foules permet de créer une scission encore plus profonde dans la société et ainsi, détourner notre attention des véritables objectifs de cette période transitoire.

Je crois également que l’on peut affirmer (et je parle là en tant que témoin oculaire) que des groupes de voyous et de casseurs s’infiltrent dans les manifestations et sèment la pagaille. Ce que je constate, pour les avoir personnellement vus à l’œuvre à de multiples reprises, c’est que ces groupes ont des caractéristiques et des méthodes qui rappellent les casseurs de nos compétitions sportives ou les pillards qui ont sévi dans les jours qui ont suivi la chute de ZABA. . Sont-ils pilotés par quelqu’un, servent-ils les intérêts d’une partie ou d’une autre ? Je ne saurais le dire.

J’incriminerai ensuite l’inexpérience politique du gouvernement. En effet, nous avons là une illustration concrète et dramatique de la différence entre un politique et un bureaucrate. Le bureaucrate est un très bon technicien, mais il n’est généralement ni combinard ni roublard, ce qui, en caricaturant un peu est le propre du politique. Malheureusement, quand on n’a pas ces traits de caractère, on peut être un peu naïf et ne pas voir les coups bas venir. Je crois que c’est le cas de certains membres de ce gouvernement, et en particulier de Mr. Ghannouchi, qui, s’il était un tant soit peu politicien, n’aurait pas été reconduit à son poste par ZABA pendant 11 ans.

Je mettrai ensuite en cause l’inexpérience de la société civile dans l’organisation de ses propres actions de revendications : privée depuis 23 ans du droit de manifester ou de se regrouper librement en associations  la société civile agit souvent dans un désordre et une improvisation totale. Or, si nous observons ce qui se passe dans des pays où cette tradition est solidement ancrée, les mouvements populaires sont systématiquement encadrés soit par des organisations politique, soit par des ONG, soit s’il s’agit de mouvements spontanés, des comités de coordination sont systématiquement créés pour coordonner l’action de ces mouvements avec les pouvoirs publics, avec les forces de l’ordre, aves les autorités sanitaires… Si cela avait été fait à la Kasbah et que les représentants des manifestants avaient demandé depuis le premier jour une coordination avec l’armée et les forces de l’ordre censées les protéger, cela n’aurait sans doute pas donné la possibilité aux BOP d’orchestrer cette opération sous couvert de motifs « légitimes »

Inversement, on ne peut que constater le déficit catastrophique de communication du gouvernement (sans doute à mettre aussi au crédit de son inexpérience politique) : le gouvernement est sans cesse en train de subir la loi de la rue, des media, des facebookeurs… et même ses réactions, quand il y en a, sont d’une maladresse étonnante. Il est quand même incroyable qu’il ait fallu attendre 24 heures et un débat sur Nessma TV pour enfin entendre le porte parole du gouvernement. Mais la réponse de ce dernier est encore plus sidérante : si vous avez des questions à poser sur ce problème, posez les au Ministre de l’Intérieur pour qu’il vous réponde, je n’ai pas d’éléments et je ne peux pas parler au nom des autres ministères ! On croit rêver ! Et il aura fallu que Nessma demande sur antenne si elle pouvait contacter le Ministre de l’Intérieur pour que celui-ci se manifeste et qu’il annonce mollement sa disposition à ouvrir une enquête. Je crois qu’on ne peut pas faire pire en termes de communication.

Enfin, ces causes ne seraient pas complètes si on oubliait l’essentiel : pourquoi donc des habitants des régions de l’intérieur ont éprouvé le besoin de monter à Tunis ? Parce que tout simplement personne n’est venu à eux. Parce qu’ils ont eu l’impression, à juste titre, qu’on avait trop vite oublié que ce sont eux qui, les premiers, sont sortis dans la rue, au péril de leur vie. Que c’est parmi leurs familles que l’on compte l’écrasante majorité des martyrs et des blessés. En qu’en contrepartie, personne ne s’est rendu sur place, que personne ne leur a proposé de s’associer aux réformes en cours et que sans doute bien vite, ils seraient de nouveau les oubliés de la révolution.

Voici pour les faits et les causes possibles. Que peut-on proposer pour éviter que cela se reproduise ?

Premièrement, le gouvernement doit sans délai annoncer l’ouverture d’une commission d’enquête au sein du Ministère de l’Intérieur et procéder à l’audition des témoins (civils) et au visionnage des différentes vidéos qui circulent, même si ces vidéos n’ont pas forcément valeur de preuve irréfutable. Cette commission d’enquête devra rendre ses conclusions rapidement et une conférence de presse devra être donnée pour exposer clairement le déroulement des faits, les responsabilités et les mesures qui auront été prises.

Sans vouloir lui donner de leçons (il est sans conteste plus compétent que nous sur ce plan), nous attirons l’attention du Ministre de l’Intérieur sur le fait que ses services vont encore tenter de le déstabiliser. Il devra donc très rapidement faire le tri parmi ses collaborateurs et écarter sans ménagement les combinards où ceux qui ont des intérêts personnels ou idéologiques à défendre (j’espère qu’ils ne sont plus très nombreux). Il doit compter sur l’appui du public et, pour cela, apprendre à communiquer régulièrement, honnêtement et cartes sur tables. Il doit  faire sentir aux gens qu’il est au service du Peuple Tunisien et non au service du Ministère de l’Intérieur.

La même remarque s’applique également à d’autres administrations sensibles où il faudra s’attendre à d'autres incidents visant à discréditer les personnes nouvellement nommées : la Douane, la Direction Générale des Impôts, la Banque Centrale, la CNSS, la CNAM, la Direction des Biens de l’Etat…

Le public doit accepter, sans crier sans cesse au loup, que les forces de l’ordre arrêtent les groupes de perturbateurs, car ces groupes existent. Si on les arrête mais qu’après ils arrivent à nous faire croire que ce sont des victimes  d’une stratégie machiavélique d’une organisation X ou Y… et que le public se mobilise en leur faveur, on n’est pas sortis de l’auberge. Pour cela, nous devons nous même atteindre rapidement une maturité qui nous permet de trier les informations, de ne pas dire je l’ai lu ou vu sur facebook donc c’est forcément vrai, de ne pas dénigrer systématiquement ce que fait le gouvernement, mais aussi, ne pas croire sur parole tout ce qu’ils nous disent (l’incident de la Kasbah est, sur ce plan, significatif). Cette transformation est de même nature que celle qu’on exige des membres du gouvernement alors, nous aussi, faisons un effort sur nous même pour faire la part des choses.

Le gouvernement doit apprendre à communiquer. A l’image de ce qui se fait aux Etats Unis ou dans les pays européens, des points de presse réguliers seraient vivement appréciés et feront taire les rumeurs (bien ou mal intentionnées) et les on-dit. Cela devrait rapidement instaurer un climat de transparence et de confiance entre le gouvernement, le Peuple, les journalistes… Nous recommandons également à l’Armée Nationale de participer à ces points presse et de se prononcer notamment quand des sujets relatifs à la sécurité ou à des incidents sont abordés.

La société civile doit apprendre à se structurer et à nommer des délégués. On critique le gouvernement à tour de bras, mais concédons une chose, c’est qu’il n’est guère possible de gérer sereinement quand les critiques fusent de toute part, que les revendications sont incessantes, que l’on doit s’adresser à des dizaines d’interlocuteurs…. D’autant que tous les chantiers sont prioritaires et que les Tunisiens sont pressés.

Le gouvernement doit oublier les réflexes de centralisation et se rendre dans les régions, les faire participer aux réformes, écouter leurs besoins et prendre la juste mesure du désespoir des habitants mais aussi des espoirs que cette révolution a fait naitre en eux. Après les graves événements de Vendredi (je refuse de parler d’incident), le gouvernement est tenu de présenter des explications et des excuses et enfin, de faire participer sous une forme ou une autre les habitants de ces régions. Un déplacement sur place de certains membres du gouvernement pour rendre hommage aux victimes me semble indispensables (mais attention aux fauteurs de troubles qui ne manqueront pas de créer des incidents pour que ça se passe mal !).

Enfin, pour terminer sur une note positive, j’invite nos artistes (en particuliers les jeunes et en aucun cas ceux qui se dépêchaient de chanter lors des festivités du 7 Novembre !) qui ont montré un talent et une créativité immenses avant et depuis le 14 Janvier, à organiser Dimanche prochain une fête de la liberté dans l’une des villes de l’intérieur.

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